Les réactions de fusion D-T produisent des ions très énergétiques (particules alphas) . Ces derniers sont considérés comme potentiellement nocifs dans les plasmas confinés de tokamaks car ils peuvent interagir avec les ondes d’Alfvén et provoquer de fortes perturbations. Une étude récente, réalisée par le CEA et publiée dans Nature Physics(1), montre que les ions avec une énergie de l’ordre du MeV peuvent stabiliser efficacement la turbulence et ainsi réduire le transport de la chaleur. Ces résultats indiquent que les plasmas avec une fraction élevée de particules alpha de fusion d’une énergie de 3.5MeV, comme attendu dans ITER, pourraient bénéficier de performances meilleures que prévues.
L'utilisation d'ions très énergétiques pour le chauffage du plasma par collisions coulombiennes avec les ions thermiques est un concept bien établi dans les plasmas confinés de Tokamaks. Les ions énergétiques sont soit introduits dans les plasmas par des accélérateurs (Neutral Beam Injection, NBI), soit produits par résonance avec des ondes spécifiques injectées de l’extérieur (Ion Cyclotron Resonance Heating, ICRH). L'étude de ces ions est un sujet fondamental dans les tokamaks car dans les futures centrales à fusion, les réactions Deuterium-Tritium produiront des particules alpha de 3.5 MeV qui seront le principal mécanisme de chauffage du plasma.
Expérimentalement, il a été démontré que la présence d'ions énergétiques (de 100 keV à quelques MeV) augmente la température du plasma (typiquement de l’ordre de 10 keV, soit 100 millions de degrés), ce qui est nécessaire pour atteindre les températures nécessaires pour générer suffisamment de puissance de fusion. Cependant, dans le même temps, les ions énergétiques peuvent entrer en résonnance avec des ondes spécifiques, appelées ondes d'Alfvén, qui peuvent capter une quantité importante de leur énergie et provoquer une dégradation du confinement du plasma.
Figure 1 : Spectre des fluctuations de la densité du plasma dans le cas avec des ions de ~100 keV d’énergie injectés par NBI (en bleu), ou avec des ions d’une énergie de ~MeV générés avec ICRH (en rouge). L’intensité des fluctuations est fortement réduite d’un facteur proche de 10 à toutes les fréquences sauf pour la fréquence des ondes d’Alfvén (pic vers 200 kHz). Cela signifie que les pertes d’énergie dans le plasma, à cause des fluctuations de la densité sont réduites en présence des ions avec une énergie de ~MeV.
Les chercheurs du CEA-IRFM ont analysé des plasmas produits dans le tokamak européen JET avec une forte population d'ions énergétiques de l’ordre du MeV, accélérés par les ondes du chauffage ICRH, et en présence de fortes perturbations d'Alfvén. Le confinement de l’énergie a été comparé à celui des plasmas équivalents chauffés uniquement par injection de neutres (NBI), qui génère des ions d'énergie plus faible de l'ordre de 100 keV. De manière surprenante, le confinement de l’énergie en présence d’ions de l’ordre du MeV est 40% plus élevé. Un diagnostic de réflectométrie a permis de mettre en évidence l'amélioration du confinement en présence de ces ions MeV, clairement liée à la turbulence. Il fait ressortir une forte réduction des fluctuations de la densité du plasma, principales responsables des pertes d’énergie dans un tokamak (voir figure 1).
Figure 2 : Image de la planète Jupiter. Des zones et bandes longitudinales se sont créées dans son atmosphère. Contrairement à ce qui se passe sur la Terre, les perturbations latitudinales de l’atmosphère se propagent faiblement à cause de ces écoulements zonaux. Dans un plasma avec des ions avec une énergie de l’ordre de quelques MeV, les écoulements zonaux empêchent la propagation des fluctuations du potentiel électrostatique dans la direction radiale (voir figure 3).
Des analyses multi-échelles de la turbulence et du transport ont été réalisées avec des simulations multi-échelles, qui sont nécessaires pour prendre en compte à la fois les petites échelles de la turbulence et les fluctuations à grande échelle des perturbations des ondes d'Alfvén. Le comportement expérimental est bien reproduit par les simulations et le mécanisme physique à l'origine du confinement amélioré est identifié. Les flux zonaux, semblables aux fameuses ceintures de Jupiter (voir figures 2 et 3), jouent un rôle clé. Il existe une interaction claire entre les échelles d'Alfvén et les flux zonaux, ce qui supprime presque totalement le transport de l’énergie par les ions lorsque la pression des ions énergétiques est suffisamment élevée pour déstabiliser les ondes d'Alfven.
Figure 3 : Simulations des fluctuations du potentiel électrostatique pour les cas sans ions énergétiques (a) et avec des ions énergétiques (b). La direction x est la direction radiale, y la direction poloïdale et s le rayon du mouvement cyclotronique des ions autour des lignes de champ (rayon de Larmor) de l’ordre du mm. Sur le cas (b), la propagation des fluctuations dans la direction radiale a pratiquement disparu et les fluctuations ne génèrent ainsi plus de transport d’énergie dans la direction radiale. Le motif observé rappelle les écoulements zonaux de l’atmosphère de Jupiter (Figure 2).
Ces résultats prometteurs indiquent que des conditions favorables inattendues jusque-là pourraient être obtenues dans ITER et les futurs tokamaks en présence de particules alpha très énergétiques.
(1) Référence : S. Mazzi et. al. « Enhanced performance in fusion plasmas through turbulence suppression by megaelectronvolt ions », Nature Physics (2022) ; doi.org/10.1038/s41567-022-01626-8
Maj : 08/07/2022 (867)