Des nanoparticules de tungstène produites par les plasmas de tokamak

Des nanoparticules de tungstène produites par les plasmas de tokamak

Les interactions entre le plasma et les parois des machines de fusion peuvent générer des poussières à partir des matériaux exposés au plasma. Celles-ci peuvent pénaliser l’opération des tokamaks lorsqu’elles pénètrent dans le plasma, en le polluant jusqu’à entrainer éventuellement son extinction. De plus, dans les machines de prochaine génération comme ITER, ces poussières seront tritiées et activées, constituant par conséquent un inventaire radiologique à surveiller. Les étudier dans les machines actuelles est donc essentiel pour comprendre leur formation, leur morphologie, les caractériser et en tirer des enseignements pour les futures installations de fusion. C’est ce qui est fait dans le tokamak WEST, dans le cadre d’une collaboration entre le CEA, le CNRS et l’IRSN.

Dans les machines de fusion, les interactions du plasma avec les parois, mais aussi les phases de maintenance, peuvent produire des micro-débris ou poussières dans la chambre à vide (une poussière est définie comme une matière particulaire d’une taille allant jusqu’à ~1mm).

Dans ITER, les poussières produites seront majoritairement en tungstène, un élément lourd utilisé comme matériau pour ses composants face au plasma. Pendant les expériences, ces poussières peuvent être mobilisées, transportées dans le cœur du plasma pour devenir une source de pollution, avec pour conséquence de dégrader les performances du plasma et potentiellement entrainer son extinction. Elles représentent également un enjeu de sûreté en cas de relâchement accidentel dans l’environnement, car elles seront radiotoxiques. En vue de maitriser ces risques, l’inventaire de poussières est donc strictement limité dans ITER. Afin de mener à bien cet objectif, il est essentiel d’appréhender au mieux les phénomènes de création de ces poussières dans des conditions aussi proches que possible de celles d’ITER.

C’est dans ce cadre que le CEA (Institut de Recherche sur la Fusion Magnétique IRFM), le CNRS (laboratoire de Physique des Interactions Ioniques et Moléculaires/PIIM et le Centre Pluridisciplinaire de Microscopie Électronique et de Microanalyse/CP2M à l’université Aix-Marseille), et l’IRSN travaillent depuis plusieurs années sur des activités de recherche relatives à l’étude du comportement physique et chimique des poussières produites dans les tokamaks, ainsi qu’au développement de systèmes de mesure et de récupération de poussières dans l’enceinte à vide.

Bien qu’une grande partie de ces recherches se déroule en laboratoire et via des codes numériques, le tokamak WEST, opéré par le CEA sur le centre de Cadarache, s’avère un outil indispensable pour étudier ces poussières dans des conditions proches de celles d’ITER. En effet, les composants face au plasma de WEST sont aussi en tungstène, soit massif soit avec un revêtement de quelques microns. C’est notamment le cas de son divertor, le composant le plus chargé thermiquement dans la machine, qui intègre notamment des composants utilisant la même technologie de monoblocs en tungstène qu’ITER.

Depuis 2017, des prélèvements sont réalisés dans l’enceinte à vide, au niveau du divertor, après chaque campagne expérimentale (et avant toute intervention humaine) dans le but de mieux comprendre les mécanismes de formation. Deux techniques sont utilisées pour la collecte des poussières : l’une utilisant une « duster box », dispositif conçu et mis à disposition, via une collaboration avec l’IRSN permettant de remettre en suspension et collecter les poussières présentes [1] (figure 1) et la seconde par une technique d’aspiration, via une collaboration avec le PIIM. Les poussières sont ensuite caractérisées par microscopie électronique au CP2M afin de révéler leur morphologie et leur composition chimique et de déterminer ainsi leurs origines possibles. Une analyse est également menée pour estimer la quantité de poussières créée.

Figure 1: la “Duster box”, mise au point par l’IRSN pour récolter les poussières en environnement tokamak, en action sur les premiers composants en revêtement tungstène du divertor de WEST

Les résultats de ces études ont été récemment publiés [2] et montrent la présence de deux populations distinctes de poussières après la campagne expérimentale de 2020.

La première est dominée par des particules de taille variant de quelques microns à quelques dizaines de microns dont le contenu est généralement à base de tungstène, mais aussi de bore, de carbone et d’oxygène. Ces poussières proviennent de la délamination des revêtements de tungstène, d’émission de gouttelettes de matériaux fondus suite à des charges thermiques intenses ou de la formation de particules de poussière dues à l’érosion des matériaux par le plasma. En outre, des nanocavités ont été trouvées à la surface des poussières de tungstène prélevées après une phase d’opération de WEST avec des plasmas d’hélium. Ceci peut être attribué au piégeage de l’hélium dans le tungstène sous forme de nanobulles, phénomène identifié en laboratoire et retrouvé en conditions tokamak.

La deuxième population de poussières mise en évidence dans cette étude est plus surprenante : il s’agit de nanoparticules de tungstène (figure 2). Elles ont été trouvées essentiellement à la surface de particules de quelques µm et peuvent résulter soit de la condensation d’une vapeur sursaturée au-dessus du tungstène fondu, soit d’amas neutres en ions se développant dans des régions de plasma à basse température jusqu’à l’apparition de particules solides.

Figure 2 : exemples de poussières récoltées sur le divertor de WEST. Des nanoparticules, séparées ou agglomérées, sont visibles à la surface de ces poussières

Ce travail de caractérisation a été réalisé suite aux collectes de poussières effectuées durant les premières campagnes expérimentales de WEST (phase I) mais il se poursuit actuellement pendant la deuxième phase.

Un changement majeur des composants du divertor a été effectué entre ces deux phases d’opération, avec le remplacement de tous ses composants avec des revêtements tungstène par des composants en tungstène massif de technologie d’ITER (figure 3).

L’impact de ces changements sera étudié sur la production et le comportement des poussières.

Figure 3 : nouveaux composants du divertor de WEST en tungstène massif de technologie ITER

Références :

  • [1] S. Peillon et al., Nuclear Materials and Energy 24 (2020) 100781
  • [2] C. Arnas et al., Nuclear Materials and Energy 36 (2023) 101471

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