Dans ITER, l’échange isotopique est considéré comme une méthode potentielle pour récupérer le tritium qui se piège dans les composants face au plasma pendant les plasmas en deutérium-tritium. Il s’agit de réaliser des plasmas alimentés uniquement en deutérium pour remplacer le tritium piégé dans les parois par du deutérium (change-over). Pour évaluer l’efficacité de cette technique, des sessions de change-over ont été conduites dans WEST, où les espèces injectées dans le plasma, deutérium et hydrogène, interagissent avec les composants de première paroi. On montre ainsi, par une confrontation de résultats simulés et obtenus expérimentalement, que l’échange isotopique pourrait représenter une solution efficace pour récupérer le tritium retenu en proche surface de ces composants.
Dans les installations de fusion qui mettent en jeu la réaction Deutérium-Tritium (D-T), le tritium injecté dans le plasma peut se piéger dans les composants face au plasma. Cette rétention doit rester limitée pour des raisons de sureté. L’inventaire en tritium au sein de l’enceinte à vide d’ITER est actuellement limité à 700 g par l’autorité de sureté. La maîtrise de cet inventaire est donc un enjeu crucial et différentes méthodes sont étudiées pour le minimiser. L’une d’elle consiste à réaliser des plasmas en pur deutérium après des plasmas en D-T pour récupérer par échange isotopique le tritium piégé dans les composants face au plasma. Cette méthode a été testée avec le divertor de WEST.
Ce dernier est constitué de 456 composants activement refroidis, comportant chacun 35 monoblocs de tungstène (Figure 1), de même technologie que ceux qui constitueront le divertor d’ITER. L’étude est concentrée sur l’échange isotopique (Hydrogène, Deutérium) dans ces composants. Une session expérimentale de change-over a été réalisée dans WEST. Elle a consisté à réaliser une première série de plasmas en D, suivie d’une série de plasmas en H, pour enfin terminer par une série de plasmas en D.

de 35 monoblocs de tungstène (c)
Pour étudier l’évolution de l’inventaire en H et D dans le divertor durant cette session, un modèle représentatif des composants face au plasma étudiés a été réalisé avec le code MIHMS (Migration of Hydrogen Isotopes in MaterialS), et a été interfacé avec un modèle de plasma réalisé avec SOLEDGE3X-EIRENE comme décrit dans [1], deux codes développés au CEA-IRFM. SOLEDGE3X-EIRENE [2] permet de générer les conditions d’exposition sur le divertor lié au plasma étudié. Ensuite, le code MHIMS [3] est utilisé pour modéliser la rétention de l’hydrogène et du deutérium dans le mur au cours de l’expérience. Ce code simule aussi les pressions liées au dégazage d’H et de D (H2, HD, D2).
La figure 2 montre les pressions dans WEST obtenues expérimentalement (a) et simulées (b). Les pressions simulées sont un ordre de grandeur en dessous des pressions obtenues expérimentalement, ce qui peut être expliqué par l’absence d’une partie du mur dans les simulations menées qui n’ont concerné que le divertor. Cependant, les dynamiques de décroissance sont équivalentes (∝t-α avec 0.7<α<1.1).

Figure 2 – Pression partielle de H2, HD et D2
mesurée dans WEST (a) et calculée (b)
durant les inter-pulses de la session change-over
La figure 3 montre les inventaires simulés en H et D dans les différents monoblocs du divertor de W et leurs évolutions après des plasmas en pur D, puis en H et enfin en retour en pur D. En sommant les contributions des inventaires de H et de D de tous les monoblocs du divertor de WEST pendant l’expérience, la rétention totale simulée dans le divertor est obtenue permettant d’évaluer l’efficacité de l’échange isotopique pour récupérer les isotopes d’hydrogène piégés dans les composants. Après le passage en pur D, l’inventaire en H est ainsi fortement diminué, avec une estimation moyennée sur l’ensemble des monoblocs d’environ 70%. Les simulations suggèrent que des plasmas dominés par D récupèrent efficacement le H piégé en sous surface (quelques µm) mais demande plus de temps pour récupérer le H retenu en profondeur.

Figure 3 : Simulation de l’inventaire en hydrogène (symboles bleus), en deutérium (symboles rouges) et inventaire total (symboles noirs) dans les monoblocs d’un composant du divertor de WEST lors des expériences de change-over (D0=plasma pur D, H0=plasma H, D1=plasma pure D). Les traits en pointillés gris représentent les positions des strike points (zone de flux thermique maximales).
Dans le cas de plasma utilisant du T, l’échange isotopique pourrait donc être efficace pour récupérer le tritium retenu vers la surface.
Ces résultats accompagnés d’une analyse plus détaillée des méthodes de détritiation via l’opération dans une machine de fusion magnétique telle qu’ITER viennent d’être publiés dans le journal Nuclear Material and Energy [4].
[1] Denis, Bucalossi, Ciraolo, Hodille, Pégourié, Bufferand, … JET Contributors. (2019). Dynamic modelling of local fuel inventory and desorption in the whole tokamak vacuum vessel for auto-consistent plasma-wall interaction simulations. Nuclear Materials and Energy 19.
DOI 10.1016/j.nme.2019.03.019
[2] Bufferand, Bucalossi, Ciraolo, Falchetto, Gallo, Ghendrih,… the JET Team. (2021). Progress in edge plasma turbulence modelling – hierarchy of models from 2d transport application to 3d fluid simulations in realistic tokamak geometry. Nuclear Fusion 61.
[3] Hodille, Pavec, Denis, Dunand, Ferro, Minissale,… Bisson, R. (2024). Deuterium uptake, desorption and sputtering from W(110) surface covered with oxygen. Nuclear Fusion 64.
[4] Hodille, Piccinelli, Bertoglio, Loarer,…the EUROfusion Tokamak Exploitation Team.(2025). Modelling fuel retention in the W divertor during the D/H/D changeover experiment in WEST. Nuclear Materials and Energy 45.


