Un code de référence pour la simulation de l’injection de glaçons dans les plasmas de fusion magnétique

Un code de référence pour la simulation de l’injection de glaçons dans les plasmas de fusion magnétique

L’injection de glaçons cryogéniques est la méthode qui sera utilisée dans ITER pour alimenter le plasma en combustible. Le CEA-IRFM, en collaboration avec le National Institute for Fusion Science (NIFS) au Japon, a réalisé des avancées dans la compréhension et la simulation de l’ablation des glaçons dans les plasmas de fusion.

Dans les centrales à fusion, le combustible doit être injecté en continu pour maintenir la réaction de fusion. L’injection de glaçons permet de contrôler la densité du plasma en compensant la perte de particules, qu’elles aient fusionné, été piégées dans les parois de la machine, ou évacuées vers les pompes avant d’avoir réagi.

La méthode la plus simple pour alimenter le plasma en combustible consiste à injecter du gaz à travers des orifices situés dans la paroi du tokamak, reliés par des tubes à des micro-vannes piézoélectriques placées à l’extérieur de la chambre à vide. Toutefois, en raison de la densité et de la température élevées du plasma, les atomes neutres ainsi injectés sont rapidement ionisés et ne peuvent pas pénétrer profondément au cœur du plasma où se produisent  les réactions de fusion. Pour remédier à cette limitation, on utilise l’injection de combustible sous forme solide, propulsé à grande vitesse : c’est l’injection de glaçons, de deutérium et de tritium, à des vitesses pouvant aller jusqu’à quelques km/s. Cette technique permet une meilleure pénétration du combustible au cœur du plasma, Au CEA, l’IRIG est un acteur majeur dans le développement de ces injecteurs de glaçons.

Le code HPI2, développé par le  CEA-IRFM et l’Institut autrichien OAW, permet de simuler la pénétration du glaçon dans le plasma, et la dérive des particules de glace qui sont progressivement sublimées puis ionisées par les collisions avec les électrons et les ions chauds du plasma. Différents modèles existent pour décrire cette physique complexe. Les travaux menés au CEA-IRFM ont permis de valider certaines hypothèses du modèle HPI2, en comparant ses résultats à des mesures détaillées de spectroscopie visible, notamment réalisées sur Tore Supra (tokamak du CEA aujourd’hui transformé en WEST) et plus récemment sur le stellarator LHD (Large Helical Device), situé au National Institute for Fusion Science (NIFS) à Gifu, au Japon.

Un des phénomènes les plus remarquables est l’observation de striations lors de l’ablation du glaçon au cours de sa pénétration. La photographie prise sur Tore Supra au cours de la pénétration du glaçon dans le plasma (figure 1a) montre un dépôt de matière discontinu corrélée aux observations des oscillations sur l’intensité de la première raie spectrale émise par les ions deutérium (signal Dalpha) mesuré par spectroscopie visible (figure 1b).

Figure 1 (a) Photos d’ablation (b) signal Dα en fonction du rayon provenant d’expérience faites sur Tore Supra

Ce phénomène est interprété comme suit : lorsque la glace à -250°C entre en contact avec le plasma à plusieurs dizaines de millions de °C, sa surface est rapidement chauffée et vaporisée par les collisions avec les ions et les électrons du plasma. Un nuage de gaz neutre va alors entourer le glaçon, formant un bouclier qui réduit le flux de particules en provenance du plasma. Ce nuage va progressivement monter en température et s’ioniser partiellement. Il va aussi s’étendre spatialement, comme le montre sur la figure 1a, l’augmentation progressive de l’étendue toroïdale de la lumière émise par le nuage le long de la trajectoire du glaçon. La partie ionisée, très dense, va subir les phénomènes de dérives propres aux plasmas magnétisés, conduisant à son détachement du système « glaçon + nuage neutre ». Ce plasmoïde va s’homogénéiser dans le plasma environnant : c’est la source de combustible du plasma. Le glaçon se retrouve alors de nouveau entouré uniquement d’un nuage neutre et le processus recommence : ionisation, dérive, homogénéisation, jusqu’à ce que le glaçon ait été complètement vaporisé.

Le code HPI2 modélise ce phénomène cyclique, permettant une comparaison détaillée à l’expérience. Les prédictions du code ont été comparées aux mesures bien documentées de l’injection de glaçons sur le stellarator LHD. Si la teneur en particules du nuage et la fréquence des stries sont fonction de la position du glaçon, le rayon et la longueur du nuage évoluent continuellement avec le temps. Les points de mesure issus des images expérimentales dépendent de la dynamique de la caméra et seule les principales tendances peuvent être comparées. Comme le montre la figure 2, la fréquence de striation moyenne prédite par le code (de l’ordre de 100kHz) est en bon accord avec les mesures expérimentales, à la fois sur l’amplitude et la variation le long de la trajectoire du glaçon. Les autres propriétés du nuage sont aussi correctement validées le long de sa trajectoire: sa taille, son taux d’ablation, etc.

Figure 2 :  fréquence de striation mesurée dans 3 domaines de longueurs d’onde différents (proche de la raie Hβ et dans le continuum), le long de la trajectoire du glaçon, et comparaison avec les valeurs simulées par HPI2 (en noir).

Le bon accord entre simulations et observations expérimentales, à un niveau de détail sans précédent, est un nouveau jalon important pour la validation du code HPI2. Cela confirme la pertinence des approximations faites dans la description des processus physiques d’ablation. La capacité du code à être applicable à différents systèmes de fusion magnétiques (tokamak, stellarators, etc), ainsi que sa flexibilité d’interfaçage à d’autres outils numériques en font maintenant un module de choix pour la préparation opérationnelle des nouveaux projets de fusion : ITER bien évidement, mais aussi le projet européen DEMO et plusieurs projets issus du secteur privé. Pour autant, la certitude que le code décrira convenablement la source de matière par injection de glaçon dans ces nouvelles machines n’est pas complétement garantie. Les conditions ne seront pas les mêmes que dans les machines actuelles, et cette capacité à extrapoler en dehors des conditions connues ne peut être renforcée qu’à travers la continuation du processus de validation dans les nouvelles installations.

Publication
Structure of pellet cloud emission and relation with the local ablation rate, B. Pégourié et al. 2024 Nucl. Fusion 64 056026, DOI 10.1088/1741-4326/ad326c