Dans les tokamaks actuels, le plasma est principalement composé de deutérium. Peu d’expérience et de données existent concernant le mélange qui sera utilisé dans les tokamaks de nouvelle génération comme ITER et ceux producteurs d’énergie, qui emploieront un mélange deutérium-tritium. Lors de la récente campagne deutérium-tritium sur le tokamak européen JET, un scénario plasma a été développé pour reproduire certaines des conditions clés attendues dans les futurs plasmas dit « en combustion » (plasma auto-chauffé par les réactions de fusion). Cette expérience importante, menée et supervisée par une équipe internationale de chercheurs, notamment du CEA-IRFM, a produit des résultats novateurs et prometteurs pour l’avenir.
Malgré les nombreux tokamaks construits au cours des 50 dernières années et les expériences encore plus nombreuses réalisées, très peu ont été menées en utilisant le mélange deutérium-tritium (D-T), qui sera celui utilisé dans les futurs tokamaks producteurs d’énergie. L’étude des conditions attendues est cruciale pour caractériser le comportement des futurs tokamaks. Ainsi, une récente campagne expérimentale, menée au JET dans le cadre d’EUROfusion et plus de 20 ans après les premières et uniques campagnes deutérium-tritium menées dans les années 1990 (TFTR (US) en 1993 et JET (Europe) en 1997), visait à explorer ces conditions spécifiques, cherchant à produire des preuves solides sur les caractéristiques des plasmas D-T, profitant des capacités uniques du JET, seul tokamak capable d’utiliser des mélanges D-T.
Figure 1: Profils radiaux des paramètres du plasma pour deux différentes expériences DT de JET, où ρ est la coordonnée radiale allant du centre du plasma (ρ=0) à sa frontière à ρ=1. En bleu, les conditions classiques du plasma de JET, avec un chauffage ionique dominant, la présence d'ions énergétiques de ‘basses’ énergies et une rotation importante du plasma ; en rouge, les conditions améliorées du plasma imitant un plasma « en combustion » : un chauffage électronique dominant, des ions très énergétiques et une faible rotation.
Cette campagne qui a permis d’établir de nouveaux records de production d’énergie de fusion a également accordé une grande importance au développement de conditions plasma qui reproduisent au plus près celles attendues dans les futurs plasmas dits « en combustion » (c’est-à-dire auto-chauffés par les réactions de fusion ayant lieu en son sein) prévus dans ITER et les futures centrales à fusion. Ces conditions incluent, en particulier, un fort chauffage électronique, qui dans les plasmas en combustion sera provoqué par les particules alpha hautement énergétiques (3.5 MeV), produits de la réaction de fusion, ainsi que d’importantes perturbations magnétiques produites aussi par les particules énergétiques, qui peuvent causer des pertes de confinement du plasma. Le chauffage utilisé dans cette expérience, principalement assuré par des ondes électromagnétiques résonnantes (le chauffage par les particules alpha étant ici insuffisant), induit également une faible rotation du plasma, similaire à celle attendue dans les grandes machines de fusion à venir. Ces conditions particulières sont censées avoir un impact potentiellement néfaste sur le confinement des futurs plasmas en combustion, et par conséquent sur la taille des futures centrales de fusion.
Figure 2: Vue interne du tokamak JET lors d'une expérience DT, où le rayonnement du plasma dans la bande spectrale du visible apparaît en rose. Les résultats numériques du code FAR3D montrant la perturbation bénéfique du potentiel électrostatique appelée écoulements zonaux, causée par les instabilités des ions énergétiques, sont superposés de manière artificielle.
Contrairement aux attentes, de très bonnes propriétés ont été observées, ce qui est de bon augure pour l’avenir [1]. De nombreux phénomènes complexes et presque uniques ont été observés, à commencer par une augmentation des performances, en particulier pour le confinement des ions thermiques, qui seront le carburant pour la réaction de fusion (voir Figure 1). Ce confinement amélioré a été observé même en présence d’une activité électromagnétique (généralement considérée comme néfaste) dans le cœur, causée par les ions hautement énergétiques. En fait, grâce à un mécanisme d’interaction multi-échelle entre différentes perturbations, y compris celles déstabilisées par les ions énergétiques, des « écoulements zonaux » sont créés (voir Figure 2). Ces écoulements zonaux peuvent briser les vortex turbulents responsables du transport de la chaleur vers l’extérieur dans les plasmas de fusion et ainsi réduire fortement les pertes. Ces analyses ont nécessité l’utilisation de codes numériques très avancés, dont les résultats ont ensuite été validés par des données expérimentales. Dans la périphérie du plasma, un piédestal de température a été observé, mais sans le développement de phénomènes d’expulsion abrupte d’énergie et de particules, appelés Edge Localized Modes (ou ELMs), qui représentent une menace importante pour l’intégrité de la première paroi des tokamaks. De plus, dans le scénario plasma mis en œuvre dans cette expérience, la présence de tritium dans le plasma a conduit à une augmentation encore plus grande des performances, notamment en empêchant l’accumulation d’impuretés légères et lourdes dans le cœur du plasma.
Ces résultats sont très significatifs car ils révèlent qu’ITER pourrait atteindre des conditions encore meilleures que prévues, avec une puissance de fusion plus élevée. De plus, dans ce contexte, les futures centrales à fusion pourraient être construites avec des dimensions plus petites tout en produisant la même puissance, ce qui réduirait considérablement les coûts.
[1] J. Garcia et al., Nat. Commun. 15, 7846 (2024)
Maj : 18/09/2024 (957)