Dans les dispositifs de fusion magnétique, les composants face au plasma sont soumis à des flux de particules énergétiques constitués d’ions ou d’atomes d’hydrogène (combustible) et d’hélium (produit des réactions de fusion). L’hélium s’implante et s’agrège sous forme de nano-bulles qui vont altérer les propriétés du matériau considéré, comme le tungstène. Afin de mieux comprendre la formation de ces bulles d’hélium dans le tungstène, une expérience d’implantation et de caractérisation en temps réel par diffusion centrale des rayons-X en incidence rasante a été réalisée au synchrotron ESRF (European Synchrotron Radiation Facility) à Grenoble. C’est une première mondiale !
Dans les machines de fusion magnétique comme WEST et ITER, les composants faisant face au plasma doivent résister aux chargements thermiques qui s’exercent sur eux de façon continue ou transitoire. Le divertor, le composant le plus exposé, doit ainsi résister à des chargements thermiques de 10MW/m² en continu et 20 MW/m² en transitoire. Ces composants sont également soumis à des flux de particules constitué d’ions ou d’atomes d’hydrogène (deutérium-D ou tritium-T, combustibles de la fusion), d’hélium et de neutrons (produit de la fusion D-T), d’impuretés.
L’hélium bien que peu énergétique (<100 eV) au voisinage du divertor s’implante, s’agrège et forme des nano-bulles d’hélium sous la surface du composant. La modification de la microstructure par ces bulles, à la fois dans le volume et à la surface du composant, altère les propriétés du matériau face au plasma (propriétés physiques et de rétention de l’hydrogène).
Dans une machine de fusion, les cycles de chargement thermique, les gradients thermiques associés, la chimie de surface des composants (oxygène, bore, hydrogène, etc.) et leur microstructure (polycristallin, défauts cristallins préexistants) rendent la compréhension des mécanismes de croissance et d’évolution des bulles difficile. Ainsi, une approche en laboratoire permettant de maitriser et d’évaluer séparément tous ces paramètres est nécessaire. Depuis 2021 une collaboration entre le CEA-IRFM, le CINaM (Centre Interdisciplinaire de Nanoscience de Marseille) et le PIIM (laboratoire de Physique des Interaction Ioniques et Moléculaires) a été créée en ce sens.
L’objectif est de mettre en lumière les mécanismes de formation et d’évolution des bulles d’hélium afin de mieux prédire leur présence et effets sur les propriétés macroscopiques. Pour cela, des échantillons de tungstène ont été implantés en hélium et caractérisés en temps réel par diffusion centrale des rayons-X en incidence rasante [1] (GISAXS – Grazing Incidence Small Angle X-ray Scattering) au synchrotron ESRF (European Synchrotron Radiation Facility) à Grenoble. En mesurant la diffusion des rayons X et par un traitement adapté des données, cette technique permet de définir la forme et la taille des bulles sur plusieurs millimètres carrés de l’échantillon, à la différence de la microscopie électronique en transmission (MET) donnant une information très locale (~0.1 µm²).
Pour dissocier l’effet potentiel de la microstructure sur la compréhension des mécanismes, du tungstène monocristallin est étudié. Les échantillons sont préparés au CINaM afin de contrôler l’état de surface (minimisation de la rugosité et de la contamination de surface).
L’implantation hélium est réalisée à l’ESRF sur la ligne BM32 via un canon à ions, l’énergie d’implantation des ions est ainsi contrôlée et portée à 400 eV ou 2 keV se situant respectivement en dessous et au-dessus du seuil de création de lacune dans le tungstène par l’hélium (~1000 eV). Enfin, la température des échantillons est maintenue constante à différentes valeurs entre la température ambiante et 1000°C (température de surface du divertor d’ITER en condition normale). Cette expérience est une première mondiale. Après implantation, afin de reproduire l’échauffement subi lors des transitoires du plasma, les échantillons sont recuits sous ultra vide jusqu’à 1550°C. L’influence d’un recuit thermique est également suivie par GISAXS in-situ.
Caractérisation d’un échantillon tungstène monocristallin, implanté et recuit. Par GISAXS (a), la tige latérale (pointillés rouge) est provoquée par la diffusion des rayon-X sur la facette {110} à surface de la bulle. Par MET (b), des bulles d'hélium sont visibles en proche surface. Les bulles sont facettées par des facettes {110} (en bleu) et {100} (en rouge).
La figure (a) est un exemple de cliché GISAXS obtenu après le recuit. La tige verticale appelée « tige spéculaire » est liée à la rugosité de l’échantillon. La présence d’une tige latérale indique que la forme des bulles n’est pas sphérique mais facettée. L’inclinaison de la tige avec la verticale permet d’établir l’orientation cristallographique de la facette et ainsi la forme 3D de la bulle [2]. On montre ainsi que la forme des bulles facettées est composée de facettes {100} et {110}. Les analyses post-mortem par microscopie électronique à transmission sont en accord avec les résultats obtenus par GISAXS (figure b). Elles montrent également que toutes les bulles présentent les mêmes facettes, indiquant qu’elles se trouvent proche de l’équilibre thermodynamique. Enfin, la largeur des tiges latérales sur les clichés GISAXS est liée à la taille moyenne des facettes qui les ont générées. Par l’analyse des données au cours de l’implantation, la cinétique et les mécanismes de croissance des bulles d’hélium dans le tungstène peuvent alors être déduits par GISAXS.
Ces résultats sont précieux pour définir l’impact de la forme et de la cinétique de croissance des bulles sur la perte des propriétés du tungstène.
[1] G. Renaud, R. Lazzari, and F. Leroy, Surf. Sci. Rep. 64, 255 (2009).
[2] L. Corso et al., Nucl. Mater. Energy 37, 101533 (2023).
Maj : 02/02/2024 (925)