Une étude menée par les chercheurs du CEA-IRFM a confirmé que le chauffage électronique, prédominant dans ITER et les centrales de fusion, sera suffisamment efficace pour aussi chauffer les ions et entretenir les réactions de fusion. Les simulations effectuées ont en effet permis d’une part d’expliquer la saturation de la température ionique observée dans les machines actuelles de petites tailles et d’autres part, de confirmer que dans les machines de grandes tailles comme ITER et les futures centrales à fusion, les ions seront efficacement chauffés pour garantir des réactions de fusion auto-entretenues.
Produire de l’énergie à partir de la réaction de fusion deutérium-tritium requiert une température du plasma et en particulier des ions de plus de cent millions de degrés. Pour atteindre ces températures et par la suite une situation dans laquelle le plasma est majoritairement chauffé par les noyaux d’hélium énergétique issus de la réaction de fusion, il est nécessaire d’utiliser dans un premier temps un chauffage externe (ou « additionnel »). Alors que ce chauffage additionnel peut être appliqué soit aux électrons soit aux ions, selon la méthode utilisée, le chauffage par échange collisionnel d’énergie entre les noyaux d’hélium et le plasma va principalement chauffer ses électrons. La question suivante se pose: dans une centrale à fusion où le chauffage dominant augmente la température des électrons, le transfert d’énergie par collision entre électrons et ions sera-t-il suffisamment efficace pour maintenir une température ionique adéquate et entretenir les réactions de fusion ?
Cette question a été remise en lumière par de récentes observations qui montrent, dans les machines actuelles, tokamak ou stellarators, une saturation de la température ionique lorsque l’on n’utilise que du chauffage électronique. Plusieurs mécanismes sont proposés pour expliquer ces observations, incluant (i) l’augmentation du niveau de turbulence (principale cause de perte de chaleur et de particules) lorsque la température électronique s’écarte de la température ionique (ii) l’échange de chaleur collisionnel entre les électrons et les ions qui devient moins efficace à mesure que la température électronique augmente (plus faible fréquence de collision). Cette saturation observée dans les expériences actuelles menace-t-elle les performances d’ITER et des futures centrales à fusion ?
Rapport entre le temps caractéristique d'échange de chaleur collisionnel ion-électron et le temps de confinement de l’énergie, en fonction du rapport entre température ionique et électronique au centre du plasma. Les ronds correspondent aux données expérimentales de WEST, les losanges aux simulations pour des paramètres de WEST et l’étoile rouge à une simulation d’un cas ITER à forte puissance fusion. La température ionique au centre est indiquée en échelle de couleur (20 keV pour le cas ITER).
Expériences et simulations sur le tokamak WEST
Extrapolation à ITER et au futures centrale à fusion
Pour les machines actuelles le temps de confinement de l’énergie est faible, de l’ordre de plusieurs dizaines de millisecondes, ce qui explique la saturation de la température ionique à de faibles valeurs, incompatibles avec le fonctionnement d’une centrale à fusion qui nécessite des températures supérieures à 100 millions de degrés. Ainsi pour ITER, de plus grande taille et ayant un temps de confinement plus élevé de l’ordre de la seconde, le rapport entre ce temps et le temps caractéristique d’échange de chaleur collisionnel entre les ions et les électrons est suffisamment grand pour permettre à la température ionique d’atteindre des valeurs proches de la température électronique. C’est ce qui a été démontré dans cette étude [1] à l’aide de simulations 1D de transport, en comparant des résultats obtenus pour le tokamak WEST et un scénario à fortes performances d’ITER pour lequel le chauffage du plasma est principalement sur les électrons.
Cette étude rassure donc sur le fait que les ions seront chauffés efficacement dans ITER et dans les futures centrales, et que les réactions de fusion pourront ainsi être auto-entretenues. Par la mise en lumière des mécanismes physiques et des temps caractéristiques en jeu, elle explique également les observations de la saturation de la température ionique sur les machines actuelles, de plus petite taille.
[1] P. Manas et al, Maximizing the ion temperature in an electron heated plasma: from WEST towards larger devices, Nuclear Fusion 64 036011
Maj : 04/07/2024 (948)